L’ENSTA Paris, pionnière du monde quantique qui vient

Le 21 janvier dernier, le président de la République dévoilait la stratégie nationale sur les technologies quantiques, qui vise à acquérir d’ici 2030 toutes les briques technologiques nécessaires à la réalisation de l’ordinateur quantique. Une annonce qui a reçu un écho particulier à l’ENSTA Paris, où nos chercheurs travaillent depuis déjà plusieurs années à faire advenir cette révolution.
Davide Boschetto, enseignant-chercheur de l'ENSTA Paris en physique quantique

Davide Boschetto, enseignant-chercheur de l’ENSTA Paris, en est convaincu : « Le futur proche sera quantique. Le premier ordinateur hybride quantique-classique verra le jour dans quelques années, et ce sera déjà une technologie de rupture. Il est donc indispensable pour nos jeunes diplômés de sortir de l’École avec des connaissances approfondies en physique quantique, qui leur seront utiles tout au long de leur vie professionnelle. »
Cette partie enseignement en physique quantique, c’est justement Davide qui l’assure lors du cours de tronc commun de première année du cycle ingénieur de l’ENSTA Paris. Il est également le créateur du premier cours francophone en ligne (Massive Open Online Courses) sur la physique quantique, hébergé par France Université Numérique (FUN), et dont ont déjà bénéficié plusieurs dizaines de milliers d’apprenants issus d’une centaine de pays.


Sur le volet recherche, Davide Boschetto et son équipe ne sont pas en reste puisqu’ils travaillent en parallèle sur trois principaux projets, qui ouvrent autant de fenêtres sur les fascinantes perspectives technologiques de la physique quantique.

Une nano antenne qui sait garder les secrets
Le principal projet de recherche concerne le contrôle des mouvements des atomes par une impulsion laser extrêmement courte (10-15 secondes). On peut ainsi maîtriser ces mouvements pour que les oscillations de tous les atomes soient en phase : on les appelle des états cohérents. La lumière joue dans ce cas le rôle d’un chef d’orchestre. Les états cohérents sont à la base de toute technologie quantique, mais pas seulement. Une partie de ce projet porte par exemple sur l’utilisation de ces états de vibrations pour créer des couples récepteurs/émetteurs dans les térahertz à l’échelle nanométrique.   
Avec ce dispositif, il devient possible de connecter des ordinateurs en s’affranchissant de l’effet joule qui consomme inutilement de l’énergie et nécessite d’énormes moyens de climatisation dans les data centers. Mais vous transmettez aussi l’information beaucoup plus vite, et sur des distances si brèves que leur interception par des oreilles électroniques indiscrètes devient impossible.
Le projet a déjà produit de premiers résultats. « Nous avons montré que nous sommes capables de contrôler les mouvements atomiques de façon cohérente dans plusieurs matériaux, dont les matériaux bidimensionnels, ce qui est très encourageant. »

Démocratiser l’infrarouge
Le deuxième projet, c’est une boite quantique colloïdale. Derrière ce nom barbare se cache en fait un capteur/émetteur dans l’infrarouge proche et moyen, dans des longueurs d’onde au-delà de 2 microns, qui est aujourd’hui la gamme pour laquelle les détecteurs sont les plus chers. L’objectif de ces boites quantiques est de baisser les coûts tout en gardant les mêmes performances, afin d’en généraliser leurs utilisations dans les applications technologiques. Ces boites quantiques sont en fait constituées de nanocristaux de tellurure de mercure dont la taille est volontairement réduite de façon à confiner les électrons. « En réduisant la taille, on modifie les transitions électroniques ce qui permet d’avoir un contrôle plus fin sur les transitions » précise le chercheur.

Transistors ultra-rapides pour ordinateurs hybrides
Enfin le troisième projet touche directement au domaine des ordinateurs hybrides, quantiques-classiques, qui permettraient déjà de gagner de 4 à 5 ordres de grandeur en matière de puissance de calcul par rapport aux meilleurs ordinateurs actuels. « Nous essayons tout simplement, grâce à des impulsions laser, de contrôler la conductivité des matériaux afin de les faire commuter de l’état conducteur à l’état isolant et vice-versa, et cela à l’échelle de temps de la femtoseconde (10-15  secondes). Notre objectif est en fait de créer ainsi des transistors ultra-rapides. Ce serait une révolution dans l’électronique de pointe ! » s’enthousiasme Davide.

Un plan quantique riche d’opportunités
Lorsqu’il a entendu l’annonce de la stratégie quantique nationale et le plan de financement qui l’accompagne (financement cumulé de l’Etat d’environ 1 Md€ sur quatre ans, pour un engagement global public-privé de 1,8 Mds€), Davide Boschetto a sans peine imaginé le genre de recherches qu’il pourrait mener avec de nouveaux moyens. « Nous avons encore plein de projets dans les tiroirs. Mais la recherche en physique quantique a ceci de particulier qu’elle a besoin de beaucoup de moyens pour la partie instrumentation, et qu’elle se mène souvent à des températures très basses. Cela suppose des investissements importants. »

Former des talents
Cependant la recherche, ça n’est pas que des moyens, c’est aussi des cerveaux : « Nous avons besoin de gens motivés qui désirent s’investir dans les technologiques quantiques, former de nouveaux talents afin de structurer nos recherches. J’espère que grâce à ce plan quantique, de plus en plus d’étudiants de l’ENSTA Paris, au-delà du cycle ingénieur, saisiront les opportunités qui leur seront offertes de s’engager dans la recherche à nos côtés. C’est un nouveau monde que nous sommes en train de bâtir, et ils peuvent en être les pionniers. »

 

Crédits Photos : Inkoly